Bonsoir à tous,
Sur la question de l’ancienneté (ou histoire) de la division sexuée du travail, avant le néolithique et donc pour les hautes périodes, on rentre dans la construction d’hypothèses purement théorique.
Constat : chez les grands singes, c’est la mère qui s’occupe quasi-exclusivement de sa progéniture (allaitement, portage, protection). L’action paternelle se limite généralement à la protection contre les prédateurs et les intrus mâles (essentielle pour les nourrissons qui risquent des attaques infanticides).
Ce que l’on constate aussi chez les grands singes, c’est que l’alimentation essentiellement végétale n’est pas partagée mais réalisée en solitaire : chacun assurant son alimentation par la cueillette dans son environnement immédiat.
Or, dans notre lignée, le passage d’une alimentation essentiellement végétale à une part de plus en plus notable de carnivorie pourrait être à l’origine de cette répartition des tâches.
C’est vers 2,8 millions d‘années que s’amorce au sein de notre lignée une part de plus en plus importante de l’alimentation carnée (genre Homo). Au départ, on parle de charognage. Pour ma part, en raison de la présence de prédateurs, en raison du risque d’accès aux charognes (hyènes et autres …), l’implication de tous les membres du groupe devait être nécessaire.
A noter aussi : dans ce contexte alimentaire, on ne voit pas pourquoi les mâles seraient les seules à produire des outils en pierre pour découper les chairs et surtout briser les os pour récupérer la moelle.
A noter enfin : dans la lignée humaine l’accès à une alimentation carnée est partagé (pas toujours équitablement entre les sexes, mais le partage est bien réel).
Entre 2 et 1 million on constate que la part du charognage diminue et que la chasse de proie vivante devient un accès dominant à une alimentation carnée (constat mis en lien avec l’acquisition d’une bipédie qui permet la course d’endurance).
La mobilité des femmes étant réduite en raison de la maternité (gestation, portage de l’enfant lié aux nécessités de l’allaitement + progéniture dépendante aussi dans sa mobilité) les hommes auraient alors pris une place dominante dans la chasse de longue distance (et plus cueillette pour les femmes, possibilité de garderie collective).
Certains considèrent que c’est à cette époque que la division du travail sexué se serait amorcée (source Pascal Picq).
Possible, mais pas du tout assuré.
En revanche, une répartition des tâches à pu effectivement s’installer par la suite (après 400 000 ans) avec le développement de la production d’artefacts de plus en plus complexes : travail des peaux pour réaliser des vêtements et pratique conservatoire des viandes (cuisson, fumage par ex.). Ces activités étant sédentaires. Alors la répartition des tâches prend tout son sens : optimisation de la vie collective et complémentarité des activités (qui ne signifie pas nécessairement répartition des tâches figée selon les sexes).
Attention, des variations selon les groupes ont dû exister : (1) la part animale dans l’alimentation a pu être faible ou forte selon les groupes ; (2) pour les uns une chasse surtout masculine a pu s’imposer (chasse d’endurance avec épuisement de l’animal) ; (3) dans d’autres impliquant les deux sexes : chasser de très grosses proies (ou des animaux en nombre nécessitant un rabattage) devaient impliquer tous les membres du groupe, surtout si celui-ci est numériquement réduit (ce qui devait être le plus souvent le cas) ; (4) la chasse peut aussi concerner le petit gibier (cf. https://www.hominides.com/html/actualites/neandertal-premiers-europeens-lapin-1336.php ) … et on ne voit pas pourquoi les femmes n’y auraient pas pris part.
Cela dit, il y a des indices archéologiques remontant au paléolithique tardif de l’existence d’une répartition sexuée des tâches. Mais, pour l’instant, ils sont infimes et (surtout) peu généralisables.
Une étude de 2015 portant sur des dents fossiles retrouvées sur plusieurs sites néandertaliens (Spy, Hortus et El Sidron) montre que les hommes et les femmes de Néandertal n’avaient pas les mêmes activités. https://www.hominides.com/html/actualites/repartition-taches-neandertal-0888.php + https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248414002887?via%3Dihub
Plusieurs études ostéologiques sur des Sapiens du paléolithique supérieur :
Une étude de 2014 a mis en évidence une pathologie osseuse spécifique aux hommes qui résulterait d’une tendinite du coude droit, compatible avec des mouvements de lancer répétés https://www.techno-science.net/actualite/lancer-activite-strictement-masculine-durant-prehistoire-N12470.html + https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440313004391
Une étude de 2021 https://journals.openedition.org/bmsap/7213 portant sur le Gravettien (34/24 000 BP) indique une division sexuelle du travail très marquée avec une prépondérance nette des activités uni-manuelles pour les hommes. Elles suggèrent également des activités physiques très intenses pour les femmes et pointent vers une division des tâches dès l’adolescence.
Une étude de 2017 constate que l'asymétrie humérale est particulièrement élevée chez les hommes par rapport aux femmes, et la possibilité d'une division du travail entre les tâches uni-manuelles (principalement masculines) et les tâches bi-manuelles (principalement féminines) est envisagée https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1631068316300963
Bref, pour améliorer notre connaissance cette piste ostéologique est à développer et l’ADN pourrait aussi nous apporter des infos : https://forums.futura-sciences.com/archeologie/937028-info-sueur-dune-femme-de-20-000-ans.html
Enfin, la sédentarité (suivi de l’agriculture) a pu accentuer cette répartition sexuée des tâches car les femmes ont eu alors des maternités nettement moins espacées que celles des chasseurs cueilleurs (estimées à 4 ans entre deux grossesses). Plus d’enfants à charge a dû limiter l’action des femmes à des tâches de la sphère domestique.
Dernier point : cette différence physiologique entre hommes et femmes a dû fournir une base de départ dans la construction symbolique d’une répartition des tâches, qui s’est imposée dans certaines sociétés au point de dépasser de très loin les contraintes biologiques initiales (création de stéréotypes genrés pour légitimer une dominance masculine : ex. femme plus dans l’affect, donc moins rationnelle …etc). Ce dernier point, me semble plus spécifique à Sapiens qui semble avoir développé grâce au langage une construction symbolique du social (amorce vers 100 000, avec accentuation à partir du néolithique, notamment dans les sociétés très hiérarchisées).
Cordialement