Rapport Jouzel sur l'enseignement supérieur

Bonjour

le gouvernement a chargé un groupe de travail présidé par Jean Jouzel d'étudier les mesures à prendre pour "Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur". Ses conclusions sont résumées ici :

https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/remise-du-rapport-sensibiliser-et-former-aux-enjeux-de-la-transition-ecologique-et-du-developpement-83903

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Six actions essentielles ont été identifiées pour atteindre les objectifs :
Toutes les formations de l’enseignement supérieur devront évoluer. Le niveau Bac+2 sera privilégié, avec quatre problématiques à aborder prioritairement : 1. Les impacts sur l’environnement à l’échelle planétaire, et 2. à l’échelle locale, 3. les enjeux de société et de gouvernance et 4. le passage à l’action.
La transition écologique devient un critère de référence pour les activités des établissements et des opérateurs. L’échelle des sites est particulièrement appropriée pour concevoir et déployer ces instruments de sensibilisation et de formation. Les collaborations régionales seront encouragées.
Les établissements d’enseignement supérieur accéléreront et renforceront leur implication. Dans le respect de leur autonomie, les établissements trouveront une source d’enrichissement dans l’échange et dans le partage des contenus d’enseignement et de projets concrets. L’inscription dans des démarches de labellisation des politiques d’établissements, largement entamée, sera encouragée.
La mobilisation des personnels de l’enseignement supérieur sera favorisée. La formation des formateurs est une priorité. Par ailleurs, tous les personnels de l’enseignement supérieur pourront être bénéficiaires d’une sensibilisation aux enjeux de la transition écologique.
La mobilisation des étudiants sera encouragée. En complément des contenus pédagogiques, l’engagement des étudiants dans des projets concrets de transition écologique, soutenus localement par des référents, sera une clef de réussite.
Faciliter et suivre le déploiement des propositions. L’organisation du partage des ressources et des expériences, via des plateformes d’échange, sera déterminant pour atteindre la mobilisation de tous les acteurs.

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Pour moi, ces directives posent un certain nombre de problèmes. Je pourrais les détailler, mais je ne résiste pas à vous communiquer les réactions d'un collègue qui reflète l'ambiance que ça met chez certains (pas tous, il y a bien évidemment un certain nombre de collègues qui sont à fond pour)

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Ayant grandi en Tunisie... j'ai une certaine familiarité avec la bigoterie et l'envahissement du religieux. Je trouve donc effrayante l'évolution de notre milieu (au sens sociologique) et de l'université. Au lieu de défendre la libre-pensée, voilà que de nombreux collègues prônent la "bonne parole" et l'édification de la jeunesse.
J'ai déjà entendu des réflexions du genre "nous sommes tous écologistes", comme on entend ailleurs "nous sommes tous musulmans"...

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La question importante , il me semble, c'est de savoir si le rôle de l'Université est de transmettre des savoirs objectifs, ou d'éduquer la jeunesse à adopter des comportements sociaux précis ? Ce qui me semble très différent sur le principe.

Bonjour, qu'est-ce qui te permet de dire que cette question est la question importante pour toi, sinon tes valeurs personnelles ?
Il s'agit d'un sujet philosophique intéressant : le fait de mobiliser/éduquer/sensibiliser la jeunesse sur les enjeux majeurs actuels altère-t-il la transmission du savoir et plus tard la création de celui-ci ?
Mais c'est de la philo.

J'ai fait état de la réaction d'un collègue justement pour montrer que ça posait vraiment problème à certains (pas à tous). Après à chacun de se positionner là dessus.

J'ai une autre expérience à ce sujet. A un séminaire sur l'enseignement de la physique à l'Université, des enseignant(e)s d'une bonne école d'ingénieur de Lyon ont présenté l'enseignement qu'ils avaient mis en place pour satisfaire aux exigences votées par le conseil d'administration d'inclure des enseignements sur les problèmes écologiques et climatiques (24 ECTS sur leur scolarité sachant qu'une année compte 60 ECTS). A un moment elle a sorti un truc comme quoi si on n faisait rien, la ville serait invivable en 2050 (une autre a parlé de la disparition de Grenoble qui deviendrait un désert). On a senti un flottement dans l'assistance mais comme c'était l'heure de manger, personne n'a posé de question sur ces remarques. Mais au repas, je me suis retrouvé assis à leur table et je leur ai demandé si elles pensaient vraiment que les villes seraient invivables en 2050. La elles ont un peu bredouillé en disant que peut etre pas mais en tout cas ce serait vraiment désagréable. Là je leur ai demandé si elles connaissaient le rythme actuel du réchauffement climatique, et elles n'ont pas su donner de chiffre. Je leur ai demandé si ce n'était pas un peu problématique d'enseigner ces questions sans connaitre les chiffres; elles se sont vexées et ont dit que j'étais malpoli et agressif, et sont parties fâchées.

Bon j'ai peut etre été effectivement un peu taquin, mais pour répondre à ta question : oui, je pense que certains sacrifient effectivement la rigueur scientifique à un discours de plus en plus idéologique et politique (que certains donc comparent aux discours religieux).

Tu l'as toi même cité : "La mobilisation des personnels de l’enseignement supérieur sera favorisée. La formation des formateurs est une priorité."

Ces gens là affichent toujours des très bons principes : s'appuyer sur les données scientifiques, être ouvert au débat, accepter les contradictions...

Sauf que par expérience, ils se comportent de façon assez éloignée de ces principes : en fait ils sont peu rigoureux, connaissent mal les vrais chiffres (la plupart du temps, je les connais mieux qu'eux), et supportent très mal la discussion, qu'ils terminent fréquemment abruptement quand ils ne savent plus quoi répondre.

C'est pas difficile d'afficher des bons principes dans le discours.

L'affichage des mauvais principes (de fake news) est malheureusement plus fréquent et encore plus facile.

je ne pense pas que ce soit "plus fréquent", il est rare que les gens "affichent" des mauvais principes, c'est à dire par exemple déclarent ouvertement ne pas respecter les standards scientifiques et dire des mensonges. Les fake news, ce n'est pas ça : c'est déclarer dire la vérité, et ne pas le faire. Pour moi c'est ce qu'on fait les enseignantes dont je te parlais.

Pour revenir à la question posée, je vois plusieurs problèmes dans la mise en oeuvre des recommandations du rapport , comme

a) déjà, ça prend du temps sur la formation disciplinaire, et ça ne peut être fait que de manière superficielle dans des formations qui n'y sont pas consacrées . Le champ est très vaste, de quoi va-t-on parler ? de climatologie, d'agriculture, d'énergie, de transport, de pollution, des abeilles ... ? si on apprend ça à des ingénieurs en génie civil, ça sera autant de compétences en moins dans leur domaine, pour un enseignement forcément superficiel et simplificateur.

b) il y a beaucoup de controverses sur ces sujets , même sans parler des querelles autour du climat : par exemple le nucléaire est il indispensable ou non à la production électrique ? peut on faire un système de production électrique juste avec des EnR ? pour ou contre les OGM, les mégabassines ... ? les données ne sont pas suffisantes pour avoir des consensus sur ces sujets. Est ce qu'on ne risque pas de confondre l'enseignement scientifique avec une position subjective dépendant de l'enseignant ?

c) comment faire la frontière entre le positionnement politique et l'enseignement factuel ?

ces problèmes sont peut etre plus courants en sciences humaines et choqueront moins les enseignants, mais en sciences dures, ils s'écartent nettement de la pratique habituelle de l'enseignement qui évite d'inclure ce genre de discussions. Non pas que j'y sois opposé au fait de les tenir, mais on peut les tenir dans d'autres cadres que celui de l'enseignement statutaire.

Le climat, l'énergie, ou les transports, ça ne concerne pas quand même un peu les ingénieurs en génie civil ?

*Les messages hors sujet ont été supprimés.
Merci de vous contenter de signaler directement ou bien de passer par les MP pour les hors sujets de quelque nature qu'ils soient. *

On a déjà des bacheliers en "Développement Durable" (STI2D) et en gros, ils ne savent pas grands choses d'utiles d'un point de vu technique.
Autant généraliser au supérieur...:diable6

je ne sais pas ce que tu veux dire par "concerner", il y a des enseignements techniques qui apprennent le métier, et d'autres plus périphériques sur lequel on a quelques notions sans être spécialiste. A un moment il y a un curseur à trouver. Il y a déjà eu des efforts pour faire du "pluridisciplinaire" (anglais etc ...), sans compter les économies rendues nécessaires pour des raisons budgétaires (le nombre d'étudiants a nettement augmenté en 20 ans à moyens à peu près constants) et certains collègues commencent à trouver que ça commence à atteindre la limite en dessous de laquelle l'enseignement disciplinaire se dégrade trop. C'est certainement une cause importante de "résistance" à en faire plus.

On est un poil dans la mouise en ce moment, mobiliser les esprits sur le changement de paradigme n'est pas une idée en plus mais une nécessité... sauf à être climato-sceptique.
Maintenant si tu as de meilleures solutions , ne te gêne pas pour lancer ton parti politique et te présenter à des élections plutôt que de jouer le tireur embusqué.
Au final il s'agit plus de politique que de philo sur ce fil.

c'est là où tu mélanges la science et la politique, précisément.

C'est différent certes, mais en quoi est-ce incompatible? la seule chose que je vois c'est qu'on se base moins sur le savoir objectif (connaissances des chiffres, études n'ayant pas assez de recul pour avoir une vision correcte d'un problème), mais si on remet dans le cadre du problème général de nos sociétés occidentales, on peu très bien discerner une ligne directrice même si les marges d'erreurs existent, l'imprécision ou raccourci, même trompeur, n'empêche pas que ça reste dans les clous, du genre "nos sociétés consuméristes ne peuvent pas continuer à prospérer". Ce que je veux dire, c'est que très souvent quand une idée nouvelle arrive, il y a une façon "extrême" qui grandit, avant un rétablissement vers une norme acceptable, alors ok c'est critiquable, mais ça ne remet pas forcément l'idée directrice en cause.

Ca peut paraitre évident à plein de gens, mais pas à tout le monde. D'ailleurs officiellement aucun gouvernement ne prône la décroissance , ils prônent tous une autre forme de croissance, donc ça ne correspond pas à "ne pas continuer à prospérer" mais plutot à "trouver une autre manière de prospérer". On y croit ou pas (personnellement je n'y crois pas) mais on voit bien qu'on n'est plus dans le domaine de la science établie, et qu'un tel "enseignement" prendrait forcément une tournure politique - du coup la place que ça doit prendre dans un enseignement scientifique me semble discutable. Qu'on organise à côté des enseignements des débats ouverts où les étudiants pourraient prendre part et discuter entre eux ou avec des enseignants, ça ne me gêne pas, mais je suis plus gêné qu'on présente ça comme une "formation" au même titre que les matières techniques qu'on leur enseigne.

Je suis d'accord, sur le fond cependant ce ne serait pas la première fois que les politiques demandent un rapport, et ne le mettent pas en application, ça fait penser qu'ils s'occupent du problème et puis rien derrière, après c'est un peu débile, mais pas pire que de demander à un prof de bio de remplacer son collègue prof de math et vice versa...quand on dit qu'on a pas de pétrole mais on a des idées...ça ne parle malheureusement pas de la qualité de celles-ci:S:

Entendu sur France-Inter ce matin : La France va faire du Kerozène durable pour l'aviation durable.
Actuellement, il y en a 1% dans le carburant et il y en aura 40000 tonnes dans quelques années. (oui, entendu et en gros compris comme cela...)

Moi, je préfére la marched à ..pied ( Henri Salvador );)
Bonne journée

Cela ne te choque que parce que tu es très éloigné de la technique et des applications, et en effet, j'imagine assez mal que ce genre de chose prenne une place importante pour des étudiants en physique théorique ou en cosmologie. Il en va tout autrement des ingénieurs et techniciens qui conçoivent et réalisent les dispositifs technologiques omniprésents dans notre environnement, et surtout de leurs donneurs d'ordre.
De nos jours, les ingénieurs doivent entendre parler d'ISO 14001, par exemple, au moins savoir que ça existe (et aller plus loin, suivant le domaine), et réfléchir un peu en avance de phase sur le cycle de vie des produits, avant même que la législation ne s'en mêle.